Archives de catégorie : Etude des textes bibliques



PARDONNER, c’est RENDRE LIBRE (Mt 18 : 23-35) – Camille Paul CARTUCCI, bibliste, Metz.

Matthieu met par écrit, vers les années 85, la grande Nouvelle du Règne qui vient et l’adresse à la communauté naissante des judéo-chrétiens de Palestine. On sait que cette communauté a perdu l’enthousiasme des débuts (cf. le bon grain qui rapporte, en ordre croissant, 30, 60 et 100 pour un chez Marc, alors que Matthieu la décrit en ordre décroissant : 100, 60, 30). On sait également que c’est une communauté où l’on est plus porté à discuter qu’à mettre la Parole en pratique et où l’on se dispute souvent, sans vouloir reconnaître ses torts.

Dans les 8 (ou 9) paraboles qui sont propres à Matthieu (perle, filet, les 10 jeunes filles, l’ivraie, le trésor caché, les ouvriers de la 11ème heure, les deux fils), celle du « débiteur impitoyable » en Mt 18 : 23-35 nous intéresse aujourd’hui. Dans ce récit sont en présence un roi, grand seigneur, qui ignore le montant de sa fortune et qui veut régler ses comptes avec ses serviteurs, et un petit bourgeois roturier, pusillanime et rude, pour qui un sou est un sou.

Le serviteur, personnage central, se trouve devant deux cas de figure :

1° débiteur à l’endroit du roi d’une somme considérable, disproportionnée par rapport à ses ressources financières, il est insolvable. Devant la menace du maître de le vendre, corps et biens, et d’éteindre ainsi sa dette, le roturier réclame un délai de grâce, une suspension de l’urgence. Le maître, compatissant, lui accorde, magnanime, la liberté par la remise de la dette.

2° créancier d’une somme dérisoire de cent deniers devant un de ses compagnons, sans pitié, il choisit la solution agressive de la violence. Son compagnon, pris à la gorge, est privé du délai de grâce que lui-même a obtenu, et de la liberté qui lui donnerait le temps de rembourser.

3° en suite de quoi, le roi, pris de colère, exige que son débiteur intraitable soit livré immédiatement à la force brutale jusqu’au remboursement d’une dette qu’il doit, de toute façon assumer, sans pouvoir la payer jamais.

En fin de compte, le roturier, humainement impitoyable, est financièrement insolvable et spirituellement impardonnable. En refusant le règlement à l’amiable de la dette, ce gagne-petit besogneux provoque, en le marginalisant, l’élimination sociale du débiteur et l’enferme dans une voie sans issue.

Le projet libérateur de Dieu

Mais ce n’est pas là le comportement du Dieu de la Bible. Le Père céleste est un Dieu de libéralité infinie (personne devant lui n’est insolvable). Il est riche en miséricorde (personne devant lui ne doit être impitoyable). Il est large en pardon (personne devant lui n’est impardonnable). Et il donne à tous, sans mesure, la capacité de neutraliser, par le pardon, l’action aliénante du passé, de l’argent ou de la vengeance. La loi de vie du Royaume des Cieux est donc totalement aux antipodes des calculs humains habituels. « De la mesure dont vous aurez mesuré, on mesurera pour vous » (Mt 7 :2). Ainsi Dieu en remettant la dette qui est pour les juifs une « morsure », rétablit des relations innovatrices avec les humains et recrée des liens apaisés entre les hommes eux-mêmes. La lutte sans merci contre l’injustice et l’intolérance fait vivre le juste en cohérence avec le projet libérateur de Dieu et démontre que l’humanité ne peut grandir en humanité que dans la mesure où elle tient sa croissance, sans rancune et sans vengeance, de la miséricorde de Dieu. Ce Dieu qui ouvre l’avenir de chacun 70 fois 7 fois par jour.

Conclusion : s’il est vrai qu’il en va du Royaume des Cieux comme d’un roi qui voulait régler ses comptes, c’est aux disciples qu’il revient de choisir la manière dont ils veulent que le Père céleste les traite : « Remets les dettes comme nous les remettons à nos débiteurs » (comparaison), lit-on en Mt 6 :12. Et cette manière dépend de leur attitude envers leurs semblables : « Remets nos péchés parce que nous remettons à qui nous doit (raison), lit-on en Lc 11 :4.

« Quiconque pratique ainsi la justice est né de Dieu » (1 Jn 2 :29), peut-on conclure avec saint Jean.



Dieu, dis-nous ton Nom. – Camille Paul CARTUCCI, bibliste, Metz

L’importante imploration liturgique d’Esaïe 63 :7-64 :11 peut s’apparenter à un psaume de supplication collective au Dieu de l’Exode à qui il est demandé de renouveler les merveilles qu’Il a accomplies lorsqu’Il faisait ‘marcher Israël au fond des abîmes’ (Es 63 :13). Cette confession publique des fautes a été écrite par le Trito-Esaïe au retour de l’Exil (entre 538 et 515) pour décrire la joie, les désillusions et les interrogations qui animaient alors un peuple dépouillé d’un Temple qui n’est toujours pas reconstruit, d’un Roi qui a disparu et d’une Terre dévastée, mais qui allait maintenant revenir à la maison, après 50 années d’éloignement.

Introduction : Es 63 : 7-14 :

Le texte commence par une évocation historique des hauts-faits passés de Jahwé en faveur de son peuple et qui étaient comme des gages de réussite pour son avenir. Or, les croyants, devant le démantèlement de ce passé, se demandent si le silence et l’inaction de Dieu sont les signes éloquents que leur survie est vouée au néant, de manière irréversible…

Une plainte/supplication (Es 63 :15-19a)

En rappelant que le Dieu qui, aujourd’hui, se tait est le même que Celui qui, hier, a parlé haut et fort, en personne, sans délégué ni messager, par ses exploits, pour libérer un peuple en gestation de la captivité, le suppliant fait œuvre de mémoire et se dit que si Dieu a tant fait de promesses et de merveilles dans le passé, pourquoi n’en fait-il plus aujourd’hui ? A cause de cet éloignement persistant de Jahwé, son peuple, entré en rébellion, est devenu sans renom et sans identité à la face des nations, un peuple errant, inopérant, en marge du dessein de Dieu (63 :17)

Une unité intermédiaire en style épiphanique (Es 63 :19b-64 :4a) :

À l’époque des patriarches, tous les personnages pieux et justes avaient l’Esprit de Dieu. Quand Israël commit le péché autour du veau d’or, Dieu limita le don de l’Esprit à des hommes choisis, et, à la mort des derniers prophètes (Aggée, Zacharie, Malachie), l’Esprit s’éteignit. Dès lors, les cieux étaient fermés. Dieu, éloigné du présent, ne parlait plus que par l’écho de sa voix (bat qol), la fille de sa voix, un relais de l’Esprit de prophétie muet depuis Malachie. Et le prophète en fait le constat : «Nous sommes depuis longtemps des gens sur qui tu ne règnes plus et qui ne portent plus ton nom. Ah ! Si tu déchirais les cieux et descendais…» Es 63 :19

Une reprise de la demande/supplication (Es 64 :4b-8) :

Devant la colère rentrée du Dieu Juge qu’il appelle en passant « père », le psalmiste reprend son imploration. Il fait l’aveu que c’est collectivement que la dégradation a conduit le peuple à la dérive, comme ballotté en tous sens par le vent. Et il en donne la motivation : Dieu, parce qu’il a « caché sa face » (v 6), est devenu invisible et inaudible, et il a laissé les nations, livrées à elles-mêmes, suivre leurs propres voies « (Ac 14 :16). Ces voies détournées, sans issue, ont fait que le pécheur, se trompant de route, erre sans repères sur des sentiers qui ne mènent nulle part. Mais l’aveu de culpabilité ouvre aussi la voie du pardon. Et pardonner, c’est permettre à la liberté égarée de se reconstruire et d’entrer à nouveau dans le projet divin, inséparable du projet collectif de l’homme. Il y va donc de l’honneur divin : Dieu doit faire réapparaître la clarté de son visage et agir comme il l’a fait dans le passé. Il y va aussi de l’avenir de l’homme : les cieux rouverts, c’est l’histoire du salut qui reprend vie et qui ouvre à tous un univers imprévisible et inédit.

Conclusion : Es 64 : 9-11 :

Mais nouveau constat de la désolation qui a frappé la Ville et le Temple. Dieu continue à se taire. Dieu a-t-il donc oublié ses promesses ?
Le croyant veut apitoyer la miséricorde divine en décrivant l’humiliation de ses enfants. Il supplie Jahwé de sortir de son apparente prise de distance et de re-dire son Nom à tous, ce Nom au nom duquel Il a façonné l’histoire de son peuple et remis en route, après les crises, tous les anonymes de la terre.