Dieu, dis-nous ton Nom. – Camille Paul CARTUCCI, bibliste, Metz

L’importante imploration liturgique d’Esaïe 63 :7-64 :11 peut s’apparenter à un psaume de supplication collective au Dieu de l’Exode à qui il est demandé de renouveler les merveilles qu’Il a accomplies lorsqu’Il faisait ‘marcher Israël au fond des abîmes’ (Es 63 :13). Cette confession publique des fautes a été écrite par le Trito-Esaïe au retour de l’Exil (entre 538 et 515) pour décrire la joie, les désillusions et les interrogations qui animaient alors un peuple dépouillé d’un Temple qui n’est toujours pas reconstruit, d’un Roi qui a disparu et d’une Terre dévastée, mais qui allait maintenant revenir à la maison, après 50 années d’éloignement.

Introduction : Es 63 : 7-14 :

Le texte commence par une évocation historique des hauts-faits passés de Jahwé en faveur de son peuple et qui étaient comme des gages de réussite pour son avenir. Or, les croyants, devant le démantèlement de ce passé, se demandent si le silence et l’inaction de Dieu sont les signes éloquents que leur survie est vouée au néant, de manière irréversible…

Une plainte/supplication (Es 63 :15-19a)

En rappelant que le Dieu qui, aujourd’hui, se tait est le même que Celui qui, hier, a parlé haut et fort, en personne, sans délégué ni messager, par ses exploits, pour libérer un peuple en gestation de la captivité, le suppliant fait œuvre de mémoire et se dit que si Dieu a tant fait de promesses et de merveilles dans le passé, pourquoi n’en fait-il plus aujourd’hui ? A cause de cet éloignement persistant de Jahwé, son peuple, entré en rébellion, est devenu sans renom et sans identité à la face des nations, un peuple errant, inopérant, en marge du dessein de Dieu (63 :17)

Une unité intermédiaire en style épiphanique (Es 63 :19b-64 :4a) :

À l’époque des patriarches, tous les personnages pieux et justes avaient l’Esprit de Dieu. Quand Israël commit le péché autour du veau d’or, Dieu limita le don de l’Esprit à des hommes choisis, et, à la mort des derniers prophètes (Aggée, Zacharie, Malachie), l’Esprit s’éteignit. Dès lors, les cieux étaient fermés. Dieu, éloigné du présent, ne parlait plus que par l’écho de sa voix (bat qol), la fille de sa voix, un relais de l’Esprit de prophétie muet depuis Malachie. Et le prophète en fait le constat : «Nous sommes depuis longtemps des gens sur qui tu ne règnes plus et qui ne portent plus ton nom. Ah ! Si tu déchirais les cieux et descendais…» Es 63 :19

Une reprise de la demande/supplication (Es 64 :4b-8) :

Devant la colère rentrée du Dieu Juge qu’il appelle en passant « père », le psalmiste reprend son imploration. Il fait l’aveu que c’est collectivement que la dégradation a conduit le peuple à la dérive, comme ballotté en tous sens par le vent. Et il en donne la motivation : Dieu, parce qu’il a « caché sa face » (v 6), est devenu invisible et inaudible, et il a laissé les nations, livrées à elles-mêmes, suivre leurs propres voies « (Ac 14 :16). Ces voies détournées, sans issue, ont fait que le pécheur, se trompant de route, erre sans repères sur des sentiers qui ne mènent nulle part. Mais l’aveu de culpabilité ouvre aussi la voie du pardon. Et pardonner, c’est permettre à la liberté égarée de se reconstruire et d’entrer à nouveau dans le projet divin, inséparable du projet collectif de l’homme. Il y va donc de l’honneur divin : Dieu doit faire réapparaître la clarté de son visage et agir comme il l’a fait dans le passé. Il y va aussi de l’avenir de l’homme : les cieux rouverts, c’est l’histoire du salut qui reprend vie et qui ouvre à tous un univers imprévisible et inédit.

Conclusion : Es 64 : 9-11 :

Mais nouveau constat de la désolation qui a frappé la Ville et le Temple. Dieu continue à se taire. Dieu a-t-il donc oublié ses promesses ?
Le croyant veut apitoyer la miséricorde divine en décrivant l’humiliation de ses enfants. Il supplie Jahwé de sortir de son apparente prise de distance et de re-dire son Nom à tous, ce Nom au nom duquel Il a façonné l’histoire de son peuple et remis en route, après les crises, tous les anonymes de la terre.

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