TOUSSAINT
Mt 5:1-12
Il advint un soir, le dernier soir du monde. Cette nuit-là, les arbres décharnés se couvrirent de feuillage et les prairies desséchées des vallées se virent habillées de fleurs de printemps. Du Nord au Sud, jusque dans les îles les plus reculées de l’univers, une clameur immense se répercuta en écho… C’était le Jour, le Jour de Jahwé, le Jour de Dieu. Aux sonneries éclatantes des trompettes furent rassemblés les hommes de la préhistoire et ceux de la conquête de l’espace. Ils étaient 144.000, que dis-je, des millions de millions, des myriades de myriades surgis de toutes les nations et de toutes les tribus : il y avait là les fils de Zabulon et ceux de Nephtali, les fils de Ruben et ceux de Benjamin; les fils d’Israël et ceux de Juda ; il y avait là la descendance d’Abraham et celle de David, les fils de Dieu et les enfants des hommes, les hommes célèbres et la masse des anonymes, des sans-nom, ceux qui cherchèrent Dieu et ceux qui furent persécutés, ceux qui furent revêtus d’habits rutilants et ceux qui moururent de faim, bref, ils étaient tous là.
Ce matin-là, le premier matin du nouveau monde, ils se rassemblèrent autour du Christ sur l’esplanade du temple cosmique, face à l’infini du temps et de l’espace, revêtus de robes blanches, les palmes à la main, le front brillant comme les étoiles et le cœur en fête.
Ils étaient là, les pauvres de cœur et d’esprit, les mendiants de Dieu, les mains ouvertes, disponibles et généreux. Ils ne furent jamais de la fête, ils se contentaient des dernières places, loin de la tribune officielle, et des miettes qui tombaient des tables des riches. Ils avaient regardé les grands de ce monde en baissant la tête humblement, n’osant leur adresser la parole, heureux de pouvoir être vus par eux. Aujourd’hui, les rôles sont renversés. Ceux qui étaient pauvres et mis de côté retrouvent la place d’honneur du festin et leur dignité.
Ils étaient là, les Doux, les Humbles, tout ce peuple de petites gens qui avaient tissé, jour après jour, l’étoffe simple et rugueuse de leur vie, inaperçus des hommes mais préférés de Dieu : Joseph, Jonas, François, le curé d’Ars, Jean XXIII, accueillants, tolérants, ils n’avaient jamais enfermé la parole de Dieu mais, debout aux carrefours des routes, ils proposaient le chemin de la cité de Dieu, dans la vérité de leur vie, sans artifice et sans hypocrisie.
Ils étaient là, les Éprouvés, ceux qui avaient semé dans les larmes et qui avaient gardé la sérénité dans l’adversité, accablés mais non humiliés ; Jean-Baptiste, Etienne, Ignace, Cyprien, témoins de la vérité, ils en savaient le prix à payer.
Ils étaient là, les Affamés et les Assoiffés de justice et de sainteté : sous le vent brûlant et le soleil de plomb, ils marchaient vers les sources, cherchant au fond des puits quelque reflet du visage de Dieu : Enoch, Elie, la Samaritaine, André et Simon qui devint Pierre, Jean de la croix et Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux. Ils n’avaient guère thésaurisé, ils donnaient ce qui leur restait aux autres; terres sèches et craquelées, ils avaient été irrigués aux sources du Nil, du Gange, du Tigre, du Tibre ou du Jourdain, et leur vie s’était transformée en fontaine de vie.
Ils étaient là, les Miséricordieux et ils avaient obtenu le pardon : l’enfant prodigue et le bon larron, la femme adultère et l’intendant infidèle. Marie-Madeleine et Augustin, Ignace de Loyola et Charles de Foucault, Claudel et Péguy, et tant d’autres. Ils avaient lutté jusqu’au matin avec l’ange ; ils avaient détruit en eux ce qui restait de forteresse ; ils éprouvaient la tendresse de Dieu.
Ils étaient là, les Artisans de Paix, les éveilleurs d’aurore, les artisans d’unité : Melchisedek et Esaïe, Côme et Damien, Mgr Romero, audacieux et debout, ils n’avaient jamais pris les armes, ils avaient pardonné 77 fois 7 fois, tendant la joue droite et la joue gauche.
Ils étaient là, les Purs, ceux qui voyaient clair en eux, ils avaient cherché le visage de Dieu et gravi les parois escarpées de la montagne sainte. Devant eux s’ouvrait une voie nouvelle, lumineuse, transparente comme la neige, comme Marie, la Mère de Jésus et des hommes, la sainte Mère de Dieu comblée de grâce et de splendeur.
Ils étaient là et l’Esprit de Dieu les transfigura. Leurs yeux s’ouvrirent et ils découvrirent la Cité sainte, la cité de Dieu, la nouvelle Jérusalem, bâtie par DIEU pour être la demeure des hommes. Et il n’y eut plus de riches arrogants, ni de puissants méprisants, ni d’enfants affamés, ni de deuil, ni de larmes, ni de guerres, ni de violence, ni de lamentations ni de souffrance. L’ancien monde avait disparu.
Camille-Paul CARTUCCI